mercredi 20 mars 2013

Istanbul d'Orhan Pamuk

Istanbul n’est pas une description de la ville, encore moins un récit de voyage, ce sont essentiellement les souvenirs d’enfance d’un auteur immense, prix Nobel de littérature en 2006, dont la vie se fond et se confond avec l’histoire de sa ville natale.

Tout le livre est bercé par la mélancolie suite à la chute. Chute de l’empire ottoman et donc de sa capitale Istanbul, chute de la famille Pamuk au sens large, le père et ses deux frères dilapidant à coup de mauvaises affaires la fortune de leur père, ainsi que sur le plan nucléaire, les relations du père et de la mère se délitant progressivement durant les années de jeunesse du jeune Orhan. 

Le terme de “mélancolie” est toutefois réducteur. L’auteur explique que son pendant turc, le hüzün, “trouve son origine dans un sentiment de manque dû à notre trop grand éloignement de Dieu”. Tout sentiment de perte ou d’absence a dès lors quelque rapport avec la difficulté de se rapprocher, sinon d’une divinité, du moins d’un idéal. Le hüzün n’est donc pas un sentiment négatif, car même si l’objectif est impossible à atteindre, il est positif de tendre vers celui-ci. Cette particularité du hüzün est essentielle, car pour Orhan Pamuk ce sentiment est “intériorisé avec fierté” par les habitants d’Istanbul qui le projettent sur leur vision même de la ville. Cela relève à la fois de l’admiration et de la compassion des Stambouliotes envers leur cité et tout ce qui la forme, le Bosphore, les mosquées, les couchers de soleil et aussi bien évidemment envers eux-mêmes. 

Il est rare qu’un écrivain nous fasse autant entrer dans son intimité, non seulement par son texte, mais aussi parce que dans son édition originale comme dans sa version de poche, le lecteur découvre dans ce livre autant de visuels d’Istanbul que de photographies d’Orhan et de sa famille. L’illustration prend ici un sens tout à fait particulier et renforce à chaque page la pensée de l’auteur. Les nombreuses vues en noir et blanc d’Istanbul accentuent par exemple le sentiment du hüzün qu’il cherche à retranscrire. Des rapports se créent en outre entre les différentes photos, et ce n’est certainement pas un hasard si la première est un portrait un brin mélancolique de Pamuk enfant, la seconde une vue panoramique en noir et blanc d’Istanbul et la troisième une photo représentant Orhan mais cette fois-ci dans les bras de sa mère, sur le balcon de leur appartement et regardant la ville. Istanbul devient dans ce jeu de correspondance un lieu matriciel aussi important dans la construction de la vie de l’écrivain que sa famille elle-même. Orhan Pamuk vit d’ailleurs toujours, comme dans un jeu de cercle concentrique dont il serait le centre, dans l’immeuble familial en plein cœur d’Istanbul. 

Comme dans un conte, puisque nous sommes au pays des mille et une nuits, la destiné, qui peut s’avérer parfois tragique, est pourtant toujours contrebalancée par la face positive du hüzün. Ainsi dans le chapitre intitulé “Les bateaux qui passent sur le Bosphore, les incendies, la pauvreté, les changements de maisons et autres catastrophes”, Pamuk nous explique-t-il que la mort dans le Bosphore, plus que la découverte dans les années 70 de se jeter du haut du pont qui l’enjambe, suit une voie tout à fait particulière qui est d’y précipiter volontairement ou non sa voiture. Il rappelle d’ailleurs qu’un journal fournit à une époque un petit guide illustré expliquant comment se sortir de sa voiture si jamais celle-ci tombait dans le détroit – le problème étant que les portes d’une voiture qui s’enfonce dans l’eau ne peuvent plus s’ouvrir. Ironisant un peu sur les chances de survie, Orhan Pamuk conclue par ces mots : “Et si vous savez nager, une fois que vous aurez émergé, vous remarquerez immédiatement à quel point, malgré toute la tristesse de la ville, le Bosphore et la vie sont beaux”.

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